Le lieu que j'ai visité hier a vu sa première pierre posée en 1783. J'ai visité l'ancienne pharmacie (l'apothicairerie) de l'Hôtel Dieu de Bourg-en-Bresse. En 1783, la ville de Bourg-en-Bresse disposait déjà d'un Hôtel Dieu qu'elle voulait déplacer pour l'agrandir. Celui-ci abritait un laboratoire depuis 1708, tenu par des religieuses qui préparaient les soins et remèdes pour les malades. C'est finalement le 16 décembre 1790, en pleine Révolution Française, que les malades et les religieuses s'installent dans ce nouvel hôpital. Expulsées des lieux sous la Terreur en octobre 1793, les religieuses sont rappelées et retournent à l'apothicairerie dix-huit mois plus tard ; elles feront fonctionner celle-ci sous la houlette du corps médical, durant plus d'un siècle et demi, des photos datant des années 1950 les montrent s'affairant à l'officine. La bâtisse est imposante, le végétal est encore très présent dans ce lieu, reconverti depuis une trentaine d'années en maison de santé pour personnes âgées.

Cèdre Apothicairerie Bourg en B la cour de l'apothicairerie de Bourg en Bresse Escalier Apothicairerie Bourg en Bresse

Un aperçu en trois images de l'avant visite de l'apothicairerie de l'Hôtel Dieu de Bourg-en-Bresse

L'apothicairerie est constituée de trois salles en enfilade. Notre guide nous introduit d'abord dans le laboratoire. L'odeur envoûtante des boiseries règne dans cette pièce, odeur de bois fumé, chaleur de notes de réglisse, doux réconfort. J'ai l'impression que les deux pièces suivantes auront une odeur plus légère, peut-être plus imprégnée de l'odeur des poudres de plantes...

Au centre du laboratoire, un énorme fourneau en fonte, conçu pour quatre foyers indépendants, un système d'évacuation des fumées par le sol, jusqu'à une cheminée intra-muros. A ceci vient s'ajouter un robinet central tournant et capable d'approvisionner en eau chaque ustensite... dont un bel alambic. Selon notre guide, les soeurs auraient fabriqué sur place au moins une vingtaine d'hydrolats en utilisant leur alambic en cuivre pour distiller les plantes. Infusions, onguents, sirops, hydrolats, suppositoires, pilules, jus de fruits pressés... c'était leur quotidien. Les ustensiles très bien conservés, propres et rangés comme s'ils étaient prêts à servir de nouveau...bassines à fond rond pour les confitures et sirops, chopines à poignées pour transporter les liquides sans se brûler, mortiers aux belles décorations pour réduire les plantes en poudre, dont un pilon de 4 kilos dans un mortier en bronze !

Le fourneau du  laboratoire de l'apothicairerie          Fourneau laboratoire de l'apothicairerie de face

Dans le laboratoire, le fourneau central, le robinet central en forme de cygne et l'alambic en cuivre pour distiller les plantes et obtenir les hydrolats.

La salle suivante est l'arrière boutique ; elle recèle les matières premières qui servent à fabriquer les remèdes. On remarque la diversité des contenants et surtout des matières premières : plantes locales, mais aussi de nombreuses plantes en provenance de contrées lointaines comme les épices et les bois précieux, des matières premières animales aussi, telles la corne de cerf, ou minérales comme l'émeraude ou le cristal... Tout le nécessaire, extraits de plantes, cires, graisses, résines... y était rangé et classé, clairement identifié en gros caractères, grâce à un système cohérent de contenants : bouteilles en verre, boîtes rondes ou rectangulaires, pots en faïence, chevrettes (notre guide nous précise, l'emblême du pharmacien de l'époque) dotées de bouchons sur-mesure moulés sur place et de couvercles pensés pour que les produits se conservent au mieux...

Les dénominations rencontrées sont parfois spectaculaires, comme "sang de bouc de dragon". Plantes odorantes comme la menthe, l'anis...  Mes yeux s'attardent sur noms de matières premières de parfumerie qui me font voyager aux Amériques ou jusqu'au bout de l'Asie : le bois de rose, le bois de gaïac (écrit gayac), le bois d'aloès, le styrax... La visite n'est pas olfactive. Pourtant j''imagine les soeurs aux fourneaux, les plantes qui révèlent leurs arômes, les parfums de l'apothicairerie selon les préparations en cours. Une bibliothèque vitrée protège les ouvrages du Comte naturaliste de Buffon, et des livres de pharmacopée et de remèdes dont les formules peuvent dérouter par leurs unités de mesure... d'ailleurs certains instruments de pesage sont exposés et attestent de la précision et de la rigueur nécessaires dans la confection des remèdes naturels.

Arrière boutique apothicairerie B Arrière boutique apothicairerie A Arrière boutique apothicairerie C

Les boîtes, bocaux, faïences de l'arrière-boutique où se retrouveaient les plantes  servant à la confection des différents remèdes.

La troisième et dernière salle est plus spacieuse, plus lumineuse. L'officine de pharmacie, c'est le point de jonction entre les membres de l'apothicairerie et l'extérieur, un portillon clos à environ un mètre de la grande porte en bois montre la limite à ne pas dépasser par les personnes en quête de remède. Les photos parlent d'elles-mêmes, les boiseries en chêne apportent un raffinement à cette organisation extrêmement fonctionnelle où chaque pan de mur est optimisé, du sol au (haut) plafond.

Des niches incrustées abritent d'immenses des pots de porcelaine mentionnant les remèdes universels tels que le Mithridate et la Thériaque, j'ai cru comprendre, je ne suis pas sûre, que ces produits n'étaient pas fabriqués sur place mais dans des grandes villes à tradition médicinale telles que Montpellier. Des bombonnes pour les hydrolats, toujours des boîtes de rangement et de conservation, un balance Trébuchet et ses poids minuscules constitués de fines lamelles de métal. Un moule à fabriquer des pilules et  des pots à pilules. Chaque objet, bouchon, couvercle, respire le travail soigné, le précieux de par les ornements, la recherche de fonctionnalité.

Balance Trébuchet apothicairerie  Officine apothicairerie Bourg en Bresse

Balance Trébuchet, bombonnes d'hydrolats, bocaux de plantes et autres matières réduites en poudre, chevrettes d'apothicaire... dans l'officine

Nous étions trois / quatre personnes tellement enchantées de cette visite, de l'atmosphère qui se dégageait du lieu, que nous n'avions plus envie de partir. Nous avons pu converser avec une guide et une organisatrice passionnées et généreuses de leur temps. Extasiée que j'étais, j'ai oublié de questionner notre guide sur l'éventuel usage des huiles essentielles qui auraient pu être extraites, en faibles quantités, certes, de l'alambic qui servait à distiller les plantes pour en obtenir de l'hydrolat. L'apothicairerie était encore en service entre les deux guerres mondiales, à l'heure de l'aromathérapie balbutiante. Je suppose que si tel avait été le cas, l'aromathérapie étant un sujet d'actualité, la chose aurait fait l'objet d'une mention au moment de la visite...

Les visites commentées de l'apothicairerie de Bourg-en-Bresse se déroulent uniquement le samedi à 14h30 et certains mardis matin pendant les vacances d'été. Espérant que ce témoignage vous donne envie, à votre tour. A quelques pas de là se trouve le Monastère de Brou et il est possible de visiter les deux monuments durant la même journée, si vous faites le déplacement jusqu'à Bourg exprès.

Monastère de Brou  Monastère de Brou Bourg en B de face

Le monastère de Brou, à quelques mètres de l'ancien Hôtel Dieu