Par Marie-Gabrielle PASTRE le samedi 18 février 2017, 01:14 - Lien permanent
Elles s'appellent Najat, Francette, Djamila, Karen ou Leïla. Elles sont infirmière, psychologue, animatrice, directrice, et oeuvrent pour que l'activité se déroule dans les meilleures conditions, qu'elle soit porteuse de sens dans le projet d'accueil de leurs résidents. Ce sont les fées qui se penchent au-dessus du berceau. En retrait, mais pas bien loin...
Elles s'appellent Najat, Francette, Djamila, Karen ou Leïla. Elles sont infirmière, psychologue, animatrice, directrice, et oeuvrent pour que l'activité se déroule dans les meilleures conditions, qu'elle soit porteuse de sens dans le projet d'accueil de leurs résidents. Ce sont les fées qui se penchent au-dessus du berceau. En retrait, mais pas bien loin, le médecin (Merlin, of course).
Vient le jour J. Les touches parfumées circulent. Huiles essentielles de Rose de Damas, patchouli, vétiver, santal, absolue de jasmin grandiflorum, essence de clémentine corse... Sentir, être présent à l'instant. Ce la se passe au niveau du regard. Des traits du visage. Des silences. Puis réagir. Chercher des yeux la tête de son voisin, qu'est-ce qu'il en pense ? En parler. Mettre en mots ce qu'une grimace a parfois déjà dit. Ou un sourire. Raconter, grâce à ces petits prétextes odorants, un morceau de sa vie. Souvent avec pudeur. Parler du présent aussi. Echanger avec d'autres. Plaisanter, vanner parfois.
Plusieurs animations se sont succédées avec les mêmes personnes, j'ai eu la chance de mieux les connaître. C'est alors que la magie opère... Un monde d'Heroïc Fantasy se dévoile à moi, une autre époque, une autre histoire se superposent à celle de ces retraités fatigués, nourrie par la lumière qui brille dans leurs yeux, par leurs mots et leurs silences, leurs mouvements et postures. Comme des jouets dans un vieux grenier, qui n'attendent qu'une nouvelle génération d'enfants pour les ranimer, mes héros évoluent dans un monde parallèle, le monde de l'éternel recommencement.
Parlons de cette Dame, troisième fauteuil à partir de ma gauche. Elle s'active avec tant de bonheur lorsqu'on parle de plantes, de jardin. Elle ajoute des commentaires issus de son expérience, elle m'épate. Les infusions de plantes n'ont aucun secret pour elle. C'est ma Druidesse. Dans le monde où elle me transporte, il n'est pas toujours bon d'être une femme et de savoir soigner, d'avoir été choisie pour recevoir et à son tour de transmettre l'héritage de la nature et de ses bienfaits. Une grande intuition, une sagesse à toute épreuve lui permettent de rester intègre et de résister à la tentation du mal. Elle est d'un grand réconfort pour les femmes, qui ne la remercient pas toujours en retour. Elle a sauvé in extremis quelques enfants. Face à la détresse des hommes, elle sait se montrer discrète.
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Et ce Monsieur, en face de moi et au milieu des autres, vif et pertinent, observateur du monde autrefois, mon Voyageur au long cours. Sûrement parti trop jeune, trop loin, la tristesse du monde a envahi son regard. Il a traversé tant de contrées, par terre, par mer, il a connu le désert. Il a vécu de peu, d'un peu de tout, tentant de se faire discret, ne laissant ni la chair, ni la matière empiéter sur sa compagne Liberté. Un compagnon, si, il y eut un aigle autrefois, fragile, revêche, le suivant de loin, s'installant sur son épaule lorsqu'il éprouvait l'envie d'enrouler sa solitude autour de celle du Voyageur. Il a le sentiment que sa quête n'est pas finie, qu'il a encore un rôle à jouer, si fort, que son corps le crie malgré lui. Viens, petit Forgeron à l'âme de Chevalier, viens faire un bout de chemin et apprendre à ses côtés...
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Raide, prête à corriger toute anomalie verbale ou de comportement, elle participe après s'être assurée que tout fonctionne bien autour. Je découvre une personne cultivée, sensible, artiste et respectueuse de la nature. La diplomatie n'est pas son fort, c'est pour cela qu'elle règne à l'écart des autres, dans un cadre frugal mais autarcique. Voilà mon Abbesse. Combien de miséreux a-t-elle aidés à reprendre le dessus ? De jeunes filles égarées remises discrètement dans le droit chemin ? De clandestins sauvés des pires geôles ou d'injustes procès ? De nouveaux-nés nourris, réchauffés et recueillis tendrement ? Nul ne saura. Qui s'y frotte s'y pique. Dans mon monde fantastique, elle continue à réaliser ces petits miracles au quotidien.
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La vie est belle, n'est-ce pas ? Il y a toujours un détail, porteur d'espoir, auquel se raccrocher. Telle est la pensée du Charpentier de marine qui suit mes séances avec le plus profond respect. De Charpentier de marine, il est devenu Marin et la Mer fut sa première épouse. La Mer prit le corps harmonieux de ce jeune homme doux, juste et brave. Elle voulut le transformer en pirate et, furieuse de constater l'absence d'emprise qu'elle avait sur cette âme pure, malgré ses incessants sévices, et toujours prête à rendre le bien pour le mal, elle le brisa et le rendit en mille morceaux à la Terre ferme. Depuis, il propage la bienveillance et la politesse sur les places et marchés de notre monde féérique, entouré d'une aura de notes d'ambre gris.
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Tout près de moi, une Dame aux couleurs chatoyantes me parle telle une amie sur le ton de la confidence. Elle est en joie, car elle retrouve toujours plaisir à cotoyer quelque chose de Beau, comme lorsqu'elle était restée quarante années enfermée dans le donjon de ce château de mon monde imaginaire, à attendre son Prince, parti guerroyer. Ma jeune Princesse pourpre devait se marier, oui mais quelques jours avant la cérémonie, ses parents l'enfermèrent au donjon parce qu'elle avait ingéré trop de pâtisseries. Son Prince ne rencontra jamais sa promise ; à peine arrivé, il dut rejoindre les oriflammes alliés et la désolation emplit le château. La Princesse proposa de rester enfermée moyennant un lot quotidien de pâtisseries, sombra quelques semaines dans la tristesse, puis s'éprit du tissage, de la couture et même du tricot. On l'alimenta en matières premières de toutes sortes, jamais ses créations ne déçurent, on dit même qu'elles firent la fortune de son Domaine, autour duquel les fées érigèrent un bouclier protecteur à l'arôme de sucre vanillé...
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Lorsque mon activité se termine, le charme ne se rompt pas tout de suite. Je garde avec moi quelques impressions envoûtées, qui m'accompagnent encore au moment de la rédaction du compte-rendu de séance, et après.. Vous l'aviez sûrement compris, dans cet autre monde, je me promène, et, de ma plume hésitante, je remplis les pages du Livre Enchanté.