En ce jour de neige où j'écris tranquillement, les jambes sous un plaid et entourée de deux adorables chats ensommeillés, je profite de l'occasion des voeux pour l'année qui commence pour partager avec vous quelques instants choisis de l'année qui finit.

Nous eumes un Noël blanc. Pas un Noël enneigé, certes, mais une semaine où la couleur blanche fut omniprésente, régissant le givre, les nuées de brouillard opaque et ce froid glacial qui nous aurait volontiers anesthésiés durant cette dernière semaine de décembre.

Jardin blanc de Sainte Blandine hiver 2016

Ci dessus : quelques branches joyeusement givrées dans mon jardin !

Cette couleur blanche, épaisse et cristalline, qui transforme la végétation engourdie en un jeu d'ombres grises et brunes, cette couleur que l'on entend comme un silence, comme la campagne endormie alors qu'il est déjà onze heures du matin et que l'on se demande si tout ceci est bien réel, pellicule pâle si fragile que la toucher serait l'abimer, alors on laisse simplement la nature se réchauffer et nous faire oublier cette parenthèse enchantée.

Je me rappelle nos conversations avec Roseline Giorgis, lors de nos essais de peinture parfumée, nous n'avions finalement associé aucune huile essentielle à notre peinture a tempera de couleur blanche, et avions proposé aux visiteurs de l'exposition "Senteurs Pigmentées", à l'Isle-sur-la-Sorgue l'été dernier, de nous raconter la senteur que la couleur blanche leur évoquait.

telle une dentelle, une toile d'araignée givrée du jardin de Sainte Blandine

Photo ci-dessus : sous l'effet du givre, une toile d'araignée s'est transformée en dentelle

Le calendrier des ateliers à l'année m'amène à sélectionner en ces jours frileux la palette des huiles essentielles et absolues qui constitueront les matières phares de la séance du groupe perfectionnement, consacrée aux conifères. Cèdres, pins, genévriers, des huiles essentielles que l'on imagine plus facilement dans la palette de l'aromathérapeute que dans celle du parfumeur du dimanche. Entourée de touches à sentir, je constate que mon affection pour ces matières ne faiblit pas, qu'elles me plaisent olfactivement et aussi par le réconfort qu'elles m'offrent gentiment.

aiguilles de conifères givrées entremêlées Sainte Blandine

Photo ci-dessus : aiguilles mortes et vives entremêlées un jour de gel dans mon jardin

L'huile essentielle de pin sylvestre me renvoie à une figure masculine, introvertie, sobre et sombre. Richesse de notes et de contrastes, tantôt boisé écorce, carboné, tantôt épicé, relevé d'aromates, ou bien sucré, limite farineux, il essaie de contenir, sous son lourd manteau brun, une fraîcheur qui ne demande qu'à s'exprimer au grand jour. Qu'est-il arrivé à ce personnage, quel triste évènement aurait pu lui ôter à ce point l'envie de se livrer ? Sa térébenthine, par contre, me transporte en altitude, et m'offre une bouffée du bon air des cimes en plus de ses jolies notes fraîches de résine.

Les touches parfumées des huiles essentielles de baies de genièvre et de rameaux (incluant les baies de genévrier) se relaient sous mes narines et diffusent leurs notes chaleureuses et corsées. Paradoxalement, c'est l'huile essentielle issue de la distillation des rameaux incluant les baies qui me ramène au plus près, et au plus souvent, à la fameuse baie qui parfume la choucroute. L'odeur sombre et rugueuse des branches évolue et laisse s'épanouir au fil des heures une infime floralité, douce et sucrée. Les baies de genièvre distillées racontent avec éloquence une tout autre histoire, celle d'animaux de ferme qui m'nvitent dans leur humble refuge. J'y partage leur chaleur, leur fatigue, leur promiscuité. Je trouve leur compagnie apaisante, et je leur promets de trouver quelques beaux accords à créer avec l'huile essentielle de baies de genièvre.

Une nouvelle huile essentielle est arrivée dans la palette : l'huile essentielle de cèdre de l'Himalaya, qui ne s'en laisse pas conter. Tels deux frères en compétition pour la dernière part de dessert, le cèdre de l'Atlas (cedrus atlantica) et le cèdre de l'Himalaya (cedrus deodora) se livrent à une joute olfactive qui laisse mes narines et mon cerveau perplexes. -"Tu vois, nargue le cèdre de l'Himalaya, moi je plais aux filles, avec ma note solaire et puissante qui rappelle la gaulthérie, et aussi ce je ne sais quoi d'abricot confit et d'huile d'olive qui forme sous les narines un baume enchanteur... et oui, tu sais ce que ça veut dire ? J'évoque l'osmanthus, rien que ça !" - "Alors si tu crois que tu m'impressionnes, rétorque le cèdre de l'Atlas, HaHa, laisse-moi te dire que des comparaisons flatteuses, moi aussi, j'en ai eu, et pas des moindres, avec les parfums ambrés, avec les cires qui soignent et redonnent leur éclat aux meubles en bois, avec le cuir des bottes, qui protègent du froid les pieds des hommes, et même avec le magique opoponax. Je suis utile, et ma senteur est sollicitée pour de nombreuses coopérations : l'absolue de vanille, le labdanum, la mandarine, le gingembre, et même le curcuma qui n'attend qu'un signe de moi. Tu comprends à qui tu parles ?" Sidérée par un tel échange, je constate qu'aucun des deux ne revendique la facette "toilettes publiques un soir de fête" si chère à ma mémoire, pourtant...

L'huile essentielle issue de la distillation des aiguilles de sapin baumier vient à point pour balayer ces effluves, et sème un climat de début de printemps, une légère brise dans les branches, convoque la chlorophylle qui refait surface et la sève qui remonte dans les végétaux tandis que fond la neige. Tonique, intense, durable, sa senteur réveille l'envie de courir dans les prés, bras grands ouverts ! Quelques notes de liqueurs de plantes médicinales viennent compléter ce réjouissant tableau où la couleur verte joue de ses nombreuses nuances.

La nuit se pose et les Terres Froides où je réside portent leur nom mieux que jamais. Les notes typiques du crayon de papier fraîchement taillé de l'huile essentielle du cèdre de Virginie sont douces, discrètes et élégantes. Tout en retenue. Plus chaleureux est le cèdre du Texas, dont l'huile essentielle, bien que fort semblable à celle du cèdre de Virginie, exprime des notes plus rondes, plus compactes, qui me rappellent de façon lointaine le vétiver Bourbon et même une boisson cacaotée dont je ne citerai pas le nom. Difficile de les imaginer en frères qui s'apostrophent bruyamment comme les deux cèdres... Ce ne sont d'ailleurs pas des cèdres, mais deux genévriers, le juniperus Virginiana et le juniperus Mexicana, ce dernier incarnant à mes yeux un homme accueillant, sociable et courtois, tandis que le premier préfèrera un certain retrait pour préserver un caractère sans concession.

belles aiguilles blanches jardin Ste Blandine

Photo ci-dessus : fantaisie d'aiguilles cristallisées sur fond brun velours - Jardin de Sainte Blandine

Enfin le bois de cade. L'évocation d'une couleur brun anthracite. La terre et l'ardoise. Un juniperus dont l'huile essentielle toute simple, extraite de ses rameaux distillés, m'entraîne dans les bois secs d'Ardèche du Sud, sous un soleil d'été. Branches friables qui cassent facilement. Puissance poivrée qui pique ma gorge et l'assèche. Clope fumée jusqu'au mégot. Chaleur sublime qui me fait oublier, le temps de quelques bouffées, la froideur saisissante de l'hiver.